Depuis sa création au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le transport aérien moderne entretient des relations très ambiguës avec les gouvernements. Il est clair que les uns ont besoin des autres et réciproquement. Au fond la grande question est de savoir qui gouverne qui.
Les gouvernements ont d’abord la main mise sur les droits de trafic. A partir de cet outil, ils peuvent à loisir protéger leur compagnie nationale ou décider d’ouvrir leur marché. Ce n’est pas anodin. Il n’est d’ailleurs pas sûr que la mise en concurrence soit nocive pour les transporteurs. Cela les oblige à se réformer ce qu’ils ne feraient pas naturellement. L’exemple marocain est intéressant. Le royaume a décidé d’ouvrir librement son ciel aux compagnies européennes pour développer son tourisme. Cela ne faisait pas les affaires de la Royal Air Maroc qui a vu déferler sur son territoire des opérateurs beaucoup plus performants qu’elle, en particulier les « low costs ». Seulement au lieu d’être fatal à la compagnie marocaine, cette situation l’a amenée à modifier sa stratégie et à ne plus se concentrer uniquement sur son marché naturel, mais à développer de nouvelles relations internationales en se servant de l’aéroport de Casablanca conne d’un « hub ». Ainsi ce qui pouvait paraître comme une contrainte s’est finalement retourné en grande opportunité. Mais l’inverse peut aussi se produire. A cet égard l’examen de la situation africaine est intéressant. Les états ont signé de grands accords d’ »Open Sky », mais aucun d’eux ne les a vraiment mis en application, pour soit disant protéger les compagnies nationales. Sauf que c’est justement l’inverse qui se passe. Les transporteurs africains mis sous la tutelle de leurs gouvernements ont une grande difficulté à se développer. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs une durée de vie limitée. La situation européenne est très particulière. Par l’Acte Unique européen de 1988, les états se sont engagés à créer un « Open Sky » européen qui couvre tous les pays de la Communauté. Cela a été très favorable au développement du transport aérien, sous la puissante poussée des compagnies « low costs » qui ont pu se tailler une place considérable pour maintenant représenter la moitié du trafic européen. Mais tous les pays n’ont pas réagi de la même manière face à cette situation. Alors que la Grande Bretagne, l’Espagne et l’Allemagne laissaient leurs transporteurs se débrouiller, d’autres comme la France et l’Italie par exemple ont gardé la main sur leur compagnie nationale en restant au capital et en faisant nommer les dirigeants. En contrepartie, les transporteurs ont demandé à leurs gouvernements respectifs une certaine protection. Elle a d’ailleurs pris des formes différentes. En France elle s’est traduite, d’abord par une forte recapitalisation puis par la gestion l’Orly par des quotas de mouvements au lieu de quotas de bruits comme c’est le cas pour la gestion de Charles de Gaulle à la seule fin d’empêcher British Airways dans un premier temps puis les « low costs » par la suite de prendre une position trop importante sur cette plateforme. Par la suite l’Etat a toujours mis son grain de sel pour la nomination des dirigeants. En Italie la classe politique a toujours considéré Alitalia comme sa chasse gardée. Les dirigeants ont plus souvent été choisis pour leur proximité avec le pouvoir que pour leur compétence. Seulement le pays garde une très grande attraction pour les touristes du monde entier et possède un marché à l’export très dynamique. Dès lors il n’est pas étonnant que les transporteurs étrangers européens aient tenté, avec grand succès d’ailleurs de prendre pied dans le pays. Ainsi, en croyant protéger leur compagnie nationale, les dirigeants italiens ne l’ont pas mis en ordre de bataille pour qu’elle puisse lutter à armes égales contre des concurrents auxquels on ne pouvait pas interdire l’accès sur leur territoire. Alors, petit à petit, pour n’avoir pas cédé le pouvoir suffisamment tôt, le gouvernement italien a plongé sa compagnie dans une situation dont elle se sortira difficilement. Dans le Golfe les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il n’est qu’à voir ce qui est arrivé à Etihad Airways. Cette compagnie, poussée par ses gouvernants et d’ailleurs largement subventionnée pour cela, a été amenée à suivre une stratégie de croissance externe qui s’est avérée désastreuse. A partir d’une même mise sous la coupe de l’Etat, Emirates a connu un parcours tout différent et exemplaire. Les dirigeants nommés par l’Emirat ont été d’un excellent niveau et au lieu que l’Etat se serve de sa compagnie, il s’est produit le contraire : le transporteur de Dubaï a obtenu de son gouvernement la construction des équipements destinés à supporter sa stratégie à long terme. Voilà un exemple réussi, il n’y en a pas tant que cela. Au Royaume Uni, la fin de la tutelle de l’Etat a été totale. Et British Airways a pu se développer selon sa propre stratégie. Sauf que dernièrement FlyBe a été conduite à se mettre sous la protection de son gouvernement et Boris Johnson le chantre de la libéralisation a dû voler au secours du transporteur en difficulté. Comme quoi, rien n’est simple dans la relation entre les Etats et les compagnies aériennes.
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Voilà un retournement de situation que personne n’aurait pu prédire lorsque le 08 avril 2010, British Airways et Iberia se réunissent pour former le groupe IAG. A cette époque British Airways avait depuis longtemps effectué un redressement spectaculaire et Iberia était dans une très mauvaise posture. Je n’aurais pas parié un euro sur le succès d’une telle opération. Il faut reconnaître que je me suis gravement trompé car à ce jour les résultats sont là.
Cela est à porter essentiellement au crédit des dirigeants et d’abord à celui de Willie Walsh. Celui-ci, après avoir brillamment redressé les comptes d’Aer Lingus dont il a pris les commandes en 2000 alors que la compagnie était moribonde, est arrivé à la tête de British Airways en 2005 pour prendre la suite de Rod Eddington qui avait déjà amplement commencé le redressement du transporteur britannique. Rappelons si besoin en était que British Airways se trouvait en très mauvaise posture à l’aube du 21 ème siècle. Les Irlandais sont teigneux et Willie Walsh l’a bien montré en menant de manière inflexible une baisse des coûts drastique, allant jusqu’à une renégociation des accords salariaux avec les navigants ce qui lui a valu une grève très dure à laquelle il n’a rien cédé. C’est ainsi qu’une fois redressée, la compagnie britannique a cherché une croissance de manière à faire pièce aux deux groupes européens qui venaient de se constituer : le groupe Lufthansa et Air France/KLM. L’un et l’autre avaient plusieurs années d’avance. Le choix aurait pu se porter sur une compagnie scandinave, SAS était à prendre, ou sur Alitalia, déjà mal en point. Il fut fait sur Iberia qui n’allait pas mieux à l’époque, mais dont le réseau transatlantique sud contrôlait le marché. L’affaire a été suffisamment bien montée pour préserver les égos des uns et des autres. British a pris la majorité et le management du groupe dont le siège social a été positionné à Madrid. La cure d’amaigrissement d’Iberia a été sévère, les conflits sociaux redoutables, mais Willie Walsh n’a rien cédé. Et petit à petit la compagnie espagnole s’est redressée. A tel point qu’elle a été en mesure de racheter Vueling une « low cost » dirigée de main de maître par Alex Cruz. Ce dernier a fait son parcours aux USA, chez American Airlines et Sabre, à l’époque le GDS dont elle était propriétaire. Par la suite il a mené d’importantes missions de consulting chez AD Little, et Accenture dont il était partenaire après avoir fait sa propre structure. Ayant eu l’opportunité d’étudier à fond le fonctionnement les « low costs », il a créé alors Click Air en Espagne qui a fusionné avec Vueling. On pensait qu’il ne résisterait pas au rachat de Vueling par Iberia. Erreur, il lui restait à poursuivre son parcours dans le groupe IAG qu’il venait de rejoindre. Et en 2016, Willie Walsh l’a appelé aux commandes de British Airways. Première énorme revanche des espagnols, bien que la culture d’Alex Cruz soit plus américaine qu’ibérique. Mais ce n’est pas tout. Alors que personne ne lui demandait rien, Willie Walsh décide de passer la main à la direction du groupe IAG. Et qui a-t-il choisi pour ce faire ? Luis Gallego, l’actuel PDG d’Iberia. Il est d’ailleurs très intéressant de voir le parcours de ce dernier. Venu de l’armée de l’air espagnole, il a fait sa carrière dans le transport aérien chez les « petits » transporteurs : Aviaco, Air Nostrum, Click Air et Vueling, avant de prendre Iberia Express et de devenir le dirigeant d’Iberia en 2013. En juin 2020, il pourra terminer son parcours sur la plus haute marche du groupe IAG. Ainsi à ce moment, IAG et ses plus grosses composantes seront dirigés par des espagnols. Voilà un retournement de situation pour le moins inattendu. Il est intéressant de noter que tous les nouveaux patrons viennent d’une culture « low cost ». C’est ce qui leur donne la légitimité et la méthode pour maintenir les coûts des transporteurs traditionnels à un niveau qui leur permet de dégager des profits tout en se positionnant devant n’importe que concurrent fut-il à bas coûts. Ainsi depuis le début des opérations en janvier 2011, IAG toujours dégagé des profits à l’exception de 2012. Les ratios sont tout simplement exceptionnels : le dernier exercice connu : 2018 a enregistré un résultat net de 2,897 milliards d’€ pour un chiffre d’affaires de 24,406 milliards d’€ soit un ratio de 12 %. Je connais beaucoup de transporteurs qui se contenteraient de la moitié. Et maintenant que va faire Willie Walsh ? Il n’a que 58 ans et, semble-t-il, toujours autant d’énergie. Lors d’un récent papier dans La Tribune, Fabrice Gliszczynski remarquait que son retrait du groupe IAG correspondait à la retraite de Tim Clark d’Emirates. Le rapprochement n’est pas sot. Un nouveau challenge pour l’Irlandais ? |
Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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