L’histoire de cette compagnie est pour le moins compliquée. Il faudrait la plume d’un Alexandre Dumas pour la retracer avec toute la saveur nécessaire. Depuis sa création le 19 septembre 1946 jusqu’à maintenant elle a connu pas moins de 4 restructurations majeures et une dizaine de présidents ou directeurs généraux depuis 2000.
Par quelle fatalité une des plus flamboyantes compagnies européennes des années 1970 a-t-elle pu plonger dans une spirale infernale pour passer de 28 000 salariés et plus de 28 millions de passagers en 1990 à la situation actuelle qui l’amènera à seulement 6 500 postes de travail, le tout avec une énième nouvelle structure administrative : l’ITA (Italia Transporti Aereo) qui reprendra la marque et ce qui reste des actifs au 01 janvier 2021. Cela aurait d’ailleurs pu être pire. Coincée par les règles européennes qui obligeaient la compagnie à rembourser les quelques 900 millions d’euros de prêts consentis par l’Etat italien, Alitalia devait inexorablement disparaître au 30 avril 2020. Or par un nouveau miracle, la Covid 19 est passée par là, bouleversant toutes les règles y compris européennes, ce qui à permis au Gouvernement italien de la sauver ou tout au moins de qu’il en reste. Comment expliquer qu’un transporteur reconnu, assis sur un marché dynamique, disposant d’une forte expérience internationale, se soit détruit avec cette grande constance ? Vu de l’extérieur il y a bien quelques explications rationnelles : l’arrivée des low-costs, la nécessité d’équilibrer les opérations entre Rome et Milan, le développement des trains rapides qui ont siphonné une grande partie du trafic aérien sur les principaux axes domestiques. Mais est-ce que cela suffit comme explication ? Après tout, les mêmes contraintes ont également pesé sur la plupart des autres transporteurs européens sans que ces derniers se soient trouvés dans l’incapacité de surmonter les difficultés. Lorsque l’on regarde en détail l’histoire de la compagnie italienne au cours des 30 dernières années, on est finalement frappé par l’incapacité des dirigeants et des actionnaires à choisir une stratégie et à s’y tenir. Les exemples sont nombreux. La recherche des alliances ou des partenaires, par exemple. Tout a été essayé sans que rien n’ait été poussé au bout. Cela a commencé par le rapprochement avec KLM en 1996 au cours d’un nouveau plan de restructuration. L’alliance devait créer des merveilles, mais les hommes ne se sont pas entendus et KLM a jeté l’éponge unilatéralement en 2000, en payant un dédit de 250 millions d’euros tout de même. Il y a eu ensuite l’aventure avec Air France, qui a duré tout de même plus longtemps mais dont l’intégration des opérations n’a jamais été poussée à son terme. C’est ainsi que les outils de réservation et d’enregistrement n’ont jamais été unifiés. La faute à qui ? Probablement pas à la partie française. Après plusieurs va et viens et après même une prise de participation de 25 % dans le capital d’Alitalia, Air France a finalement renoncé le 21 avril 2008. Il faut d’ailleurs dire qu’à cette époque les finances da transporteur français commençaient sérieusement à se dégrader. Après les discussions se sont accélérées. Avec Aéroflot, puis Lufthansa dans un premier temps pour finir par une participation de 49 % prise par Etihad Airways, qui pensait acquérir le contrôle de la compagnie. Seulement en guise de contrôle, elle devait pour l’essentiel assurer les fins de mois. Et lorsque le prix du pétrole s’est effondré le transporteur d’Abu Dhabi a été amené à arrêter les frais. Alors Alitalia est revenue au point de départ, c’est-à-dire toute seule. Entre temps elle a changé plusieurs fois de stratégie interne avec l’arrivée d’Air One du groupe Toto, l’entrée au capital d’investisseurs privés et publics qui y sont allés sans enthousiasme, c’est le moins que l’on puisse dire et qui, par conséquent n’ont jamais mis les moyens nécessaires. Toujours trop peu et trop de changements capitalistiques. Bien entendu les dirigeants se sont succédés, chacun amenant ses idées et de nouvelles stratégies. Et puis enfin il faut bien parler du comportement des syndicats et sans doute des salariés qui se sont opposés avec une grande constance à toutes les initiatives susceptibles d’améliorer la situation. Au total au prétexte de sauvegarder l’emploi, ils ont réussi l’exploit de faire passer le nombre de salariés de 28 000 en 1990 à 6500 au 01 janvier prochain. Aucune société ne peut survivre à un pareil traitement. Il a manqué à Alitalia un management fort et indépendant des contraintes politiques et un niveau de fonds propres que les actionnaires aussi bien privés que publics n’ont jamais mis. Et pourtant, voilà qui est remarquable, la compagnie est toujours en vie. La crise est profonde pour le secteur des voyages et des déplacements. Elle impacte les transports, les agents de voyages loisirs et business, les tour-opérateurs, les sous-traitants, les hôteliers... Pour tenter de mobiliser dans le même sens l'ensemble de la chaîne, Jean-Louis Baroux ancien président d'Air Promotion Group et le créateur du World Air Forum appelle à l'union sacrée.
Les effets économiques de la pandémie se révèlent beaucoup plus désastreux que ce qu’attendaient les plus pessimistes prévisionnistes. On attendait un début de reprise à partir de la rentrée de septembre et il faut bien constater qu’il n’en est rien. Les pays poursuivent avec un étonnant acharnement leurs politiques individuelles sans aucune coordination entre eux. Certes tous les secteurs d’activité sont touchés, mais ceux reliés aux déplacements le sont plus que les autres. Il est donc urgent de réagir fortement. La seule action positive et réalisable consiste à mobiliser les populations pour qu’elles soutiennent la nécessité de la libéralisation des déplacements. Pour ce faire il convient d’occuper les médias et de leur fournir la matière à une communication positive c’est-à-dire exactement l’inverse de ce qui se passe. Cela conduit à mobiliser tous les acteurs concernés et ils sont nombreux. Depuis les constructeurs d’avions jusqu’aux agents de voyages en passant par les grands motoristes et les équipementiers, les sous-traitants de la construction aéronautique, les aéroports et toutes les sociétés qui gravitent autour : assistants aéroportuaires, commerces, sociétés de maintenance, les compagnies aériennes bien entendu, mais aussi les hôteliers, les tour-opérateurs, les compagnies d’assurances, les sociétés de leasing, jusqu’à la DGAC et le contrôle aérien et j’en oublie certainement. C’est d’ailleurs ce qui a commencé dans les pays du Golfe. Chaque type d’activité agit en ordre disperséOr que voyons-nous ? Chaque type d’activité agit en ordre dispersé, personne ne se préoccupe des autres. Rien qu’en France 3 organismes se battent pour représenter les compagnies aériennes : la FNAM, le SCARA et l’UNCAF. De leur côté les aéroports sont représentés par l’UAF, mais ADP fait un peu chambre à part. On entend un peu Airbus mais pas ATR et Safran ou Thalès sont peu audibles. Et les agents de voyages, le maillon le plus faible de la chaîne car trop atomisé, sont en train d’agoniser. Bref on ne voit aucune coordination entre tous ceux qui sont en train de crever à petit feu. Il est grand temps de réagir. On ne peut pas compter sur les pouvoirs publics qui sont d’ailleurs les premiers responsables de la situation actuelle et qui sont dans l’incapacité de proposer une date crédible de sortie de cette situation ubuesque. Alors les dirigeants des organismes que j’ai cités plus haut doivent prendre les affaires en main, avant qu’il ne soit trop tard. Car l’enjeu est non seulement la réouverture des frontières et l’accès aux libres déplacements, mais aussi et peut-être surtout la reconquête du public. Matraquage jamais vu destiné à lui instiller la peur de voyager Celui-ci est soumis à un matraquage jamais vu destiné à lui instiller la peur de voyager pour toutes raisons et d’abord la crainte des effets du virus. S’ajoute à cette communication pesante, car on ne peut pas ouvrir un canal radio ou télévision sans y avoir droit, la crainte de la part des dirigeants de se faire trainer devant les tribunaux par un collaborateur atteint de la Covid 19 lors d’un déplacement professionnel, sous prétexte d’un défaut de soins et de l’application du sacrosaint principe de précaution. Alors il ne faut pas s’étonner que les déplacements professionnels qui font tout de même vivre nombre d’acteurs : transporteurs, hôteliers, aéroports, commerces et j’en passe, soient réduits à leur plus simple expression. Je suggère donc que les dirigeants des grandes entreprises et des organisations concernées se rencontrent au plus tôt pour décider des actions de « lobbying » à mettre en place sur le champ. Il faut organiser l’Union Sacrée de tous les acteurs du déplacement. La question reste tout de même de savoir qui pourra prendre une telle initiative ? En bonne logique, ce devrait être les dirigeants des compagnies aériennes car ils sont au milieu du circuit, ils sont en relation avec les constructeurs, les aéroports et les distributeurs. En allant un peu plus loin, on pourrait imaginer une action commune entre les 3 organismes représentatifs des compagnies aériennes en souhaitant que devant l’adversité, les dirigeants fassent taire certaines inimitiés. Certes il faudra mettre un peu d’argent sur la table et sans doute employer un spécialiste reconnu du « lobbyisme », mais l’enjeu vaut bien quelques sacrifices. Si cela est nécessaire, mon petit cabinet conseil JLB Conseil est prêt à s’investir dans une telle action sans bien entendu en tirer aucun profit. Il s’agit ni plus ni moins de redonner confiance dans la valeur des échanges pour non seulement développer l’économie, mais tout simplement pour nourrir la planète. Si une telle initiative n’est pas prise, il ne faudra pas s’étonner que les écologistes prennent le contrôle de la communication, et ce ne sera bon pour personne. |
Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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