Alors que l’UNCAF milite pour des prix planchers pour les trajets aériens, Jean-Louis Baroux, expert aérien et ancien président d'APG, revient sur le système de "tarifs prédateurs" proposés par les compagnies aériennes. Des tarifs qui ne correspondent à aucune réalité économique et qui ont pour effet de mettre dans l’idée des clients de fausses références...
L’UNCAF, le troisième syndicat professionnel des compagnies aériennes françaises, a jeté un joli pavé dans la mare en proposant des prix planchers pour les trajets aériens : 350€ TTC pour les vols domestiques, 450€ TTC pour les liaisons européennes et 550€ TTC pour les longs courriers. Les réactions ont été très vives contre cette idée, mais leur importance montre que le sujet titille les transporteurs. On voit bien que la cible de l’UNCAF est pour l’essentiel les 4 plus importants « low costs » qui ont en peu de temps ratissé le marché domestique français : Ryanair, EasyJet, Vueling et Volotea. Aucun français dans cette liste et ces compagnies gagnent de l’argent là où notre transporteur national en perd et n’est même plus en capacité de desservir correctement le territoire métropolitain. "Le transport aérien mondial va dans le mur" Pourquoi donc cette levée de boucliers de la part des compagnies françaises ? La première réponse qui vient à l’esprit est que la grille tarifaire affichée est un peu trop grossière et peu adaptée aux réalités économiques. La deuxième est que la proposition fait fi des différences importantes entre les prix de revient des compagnies aériennes. Certaines sont plombées par l’histoire et le poids syndical. Elles trainent un boulet financier dont elles aimeraient bien se débarrasser. Ce n’est pas si facile. D’autres plus récentes et mieux gérées affichent des coûts de production pas si éloignés de ceux des « low costs ». Pour autant, est-ce que la proposition de l’UNCAF est stupide ? Je ne le crois pas. Depuis des années je constate que le transport aérien mondial va dans le mur en ne se préoccupant que d’augmenter le nombre de passagers. Je note que la plupart des communiqués de presse mentionnent la progression en termes de volume et de coefficient de remplissage, et pratiquement jamais en termes de rentabilité. Comment prouver qu’une compagnie vend à perte ? Pourtant, il me parait évident qu’une fois sorti des effets de la pandémie, le transport arien doit se réformer en profondeur. Il faut en terminer une bonne fois pour toutes avec les tarifs prédateurs qui ne correspondent à aucune réalité économique. Ils ont pour effet de mettre dans l’idée des clients de fausses références. De sorte qu’ils se sentent floués lorsqu’ils doivent payer des tarifs normaux. Combien de fois a-t-on entendu des passagers se plaindre que leur vol européen, voire même domestique, leur coutait plus cher qu’un trajet transatlantique ? Je rappelle que la vente à perte est interdite. Mais comment prouver qu’une compagnie vend à perte certains sièges alors que le « yield management » consiste à maximiser la recette d’un vol et que vendre à très bas prix un siège vide, c’est toujours cela de pris, sauf que parfois, la recette ne paie même pas les taxes. Alors je propose une méthode relativement simple pour déterminer si un transporteur pratique de la vente à perte et qu’il est par conséquent passible de plaintes auprès des tribunaux. Elle consiste à vérifier que le prix de vente est supérieur ou même égal au coût du SKO (Siège Kilomètre Offert) de la compagnie. Remettre les fondamentaux à plat Tous les transporteurs publient leur nombre de SKO annuel. Il suffit de diviser l’ensemble des charges par ce nombre et on obtient le coût au SKO. Celui-ci est public. Par exemple le coût du SKO d’Air France est de 9,05 centimes d’euros et celui de Transavia de 6,65 centimes d’euros. En appliquant tout bêtement une petite multiplication, cela donne les tarifs minimum que ces transporteurs devraient appliquer pour ne pas faire de la vente à perte. Un Paris-Nice fait 698 km, par conséquent le prix minimum devrait être de 63,17€ pour Air France et donc de 126,34€ aller-retour. Pour Transavia les prix minimum de vente descendent à 46,42€ aller simple et 92,83€ aller-retour. L’application de la règle sur un Paris-New York dont la distance avion est de 5 840 km donne un prix minimum pour Air France de 528,52€ aller simple et de 1 057,04€ aller-retour. Alors on ne verrait plus Vueling proposer des places pour 13,99€, Iberia des aller-retours Paris-Madrid à 97€ TTC ou Norwegian afficher des vols à 100€ aller-simple pour un trajet transatlantique. Cette formule pourrait aussi bien s’appliquer aux « low costs » car leurs coûts ne sont pas si éloignés de ceux de Transavia. Ils n’ont d’ailleurs rien à voir avec le résultat des compagnies largement enrichi par les recettes annexes fournies par les clients et par des Collectivités Locales et qui, par définition, ne rentrent pas dans les coûts. Ainsi les transporteurs les plus performants seraient avantagés, ce qui n’est que justice et les autres devraient alors justifier de leurs tarifs plus élevés par une meilleure qualité de leur produit. La recherche de la quantité de passagers au prix de coefficients de remplissage supérieurs à 80% en moyenne annuelle est tout simplement déraisonnable. Il faut profiter du choc extrêmement brutal subi par le transport aérien pour remettre les fondamentaux à plat. |
Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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