Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, revient sur le partenariat entre l’armateur franco-libanais et le groupe aérien.
Reconnaissons-le, pour une surprise, c’est une surprise. L’annonce d’un partenariat à long terme, dix ans, entre l’armateur Franco-Libanais CMA/CGM et le groupe Air France/KLM publié le 18 mai dernier était tout sauf attendu. Il faut ici saluer la performance des négociateurs qui ont gardé la bouche cousue en dépit du temps qu’il a sans doute fallu pour initier, développer puis achever les discussions. Les premiers articles publiés sur cette affaire sont dans l’ensemble très positifs sinon enthousiastes. C’est bien le moins que l’on pouvait attendre. En effet, si cet accord va au bout de son processus, cela initiera le premier groupe de fret aérien européen avec les flottes tout cargo cumulées d’Air France : 2 Boeing 777 F, de KLM : 4 Boeing 747-400 BCF/ERF et de CMA/CGM 4 Airbus 330-200F auxquelles devraient s’ajouter 12 A350 F dans un proche avenir. Voilà un ensemble très significatif, d’autant plus que l’utilisation des soutes des appareils passagers fait partie également de cet accord. A cet outil de production vient naturellement s’ajouter la force commerciale de chacun des partenaires qui tous ont une grande expérience internationale dans les transports, chacun amenant une spécificité particulière. Le groupe Air France/KLM apporte son expertise dans l’utilisation des avions, ce que n’a pas le partenaire marseillais qui lui détient une colossale expérience dans le cargo et sans doute dans les circuits commerciaux spécialisés. CMA/CGM bientôt au capital d’AF/KLM ? Et, cerise sur le gâteau, la CMA/CGM propose d’entrer au capital d’Air France/KLM, ce dont cette dernière a un besoin urgent pour reconstituer ses fonds propres bien mis à mal en particulier au cours des deux derniers exercices. Le montant de recapitalisation nécessaire est tout simplement énorme : il s’agit au bas mot de 4 milliards d’euros alors que la capitalisation boursière du groupe n’est que de 2,826 milliards au dernier cours de l’action qui est de 4,71 euros. L’affaire pourrait être d’autant plus intéressante que, si l’armateur Franco-Libanais va au bout de ses intentions, cela pourrait bien amener d’autres investisseurs à rejoindre la nécessaire augmentation de capital. Enfin, rappelons que le rapprochement d’Air France et de KLM avait dans un premier temps été extrêmement bénéfique en améliorant l’utilisation des flottes des deux protagonistes qui jusqu’alors avaient largement été utilisées à se faire concurrence et qui, dès lors l’ont été pour occuper beaucoup mieux le terrain, ce qui a permis la conquête de nouveaux marchés sans pour cela devoir massivement investir. Bref, sur le papier, tout se présente pour le mieux. Complexe d’infériorité Mais comme dans tout accord, il peut aussi y avoir un revers de médaille. Je note d’abord que le groupe CMA/CGM est beaucoup plus puissant que son partenaire aérien. Son chiffre d’affaires est de 53 milliards d’euros au cours actuel du dollar, contre 27,68 milliards d’euros pour Air France/KLM lorsque l’exploitation est entièrement déployée. Côté effectif, on trouve 110.000 postes chez CMA/CGM contre 86.100 chez Air France/KLM et ses filiales. Mais là ou le décalage est le plus frappant, c’est dans la rentabilité. Alors que le groupe aérien peine à équilibrer ses comptes, toujours en année normale, le groupe naval a dégagé en 2021 17,894 milliards de dollars de bénéfice, soit l’équivalent de 17 milliards d’euros. Cela représente un ratio de résultat de 32% du chiffre d’affaires. Autrement dit, Air France/KLM va s’allier avec un partenaire deux fois plus gros en matière d’activité et dont les résultats financiers sont incomparablement supérieurs. On peut alors se demander qui va diriger l’opération. Certes le côté aérien donnerait un poids certain au groupe Franco/Néerlandais, mais l’apport économique penche bien évidemment du côté marseillais, et ce sera d’autant plus à son avantage s’il entre au capital. Il ferait d’ailleurs une excellente affaire au cours actuel de 4,71 euros l’action en sachant que lors de son entrée en bourse, le titre Air Fance/KLM était coté au-dessus de 14 euros. Je note également l’homogénéité du management pour la partie CMA/CGM comparée aux difficultés que subit le groupe binational aérien, ce qui ralentit considérablement ses prises de décision. Dernier constat, l’outil opérationnel de départ est peu rationnel avec à terme, si les A350 F sont confirmés, 4 types d’appareils très différents les uns des autres, en provenance de 2 constructeurs, le tout géré par des équipes provenant d’au moins 3 centres de décision. Bref, tout n’est pas gagné. Il faudra de la part des partenaires une farouche volonté d’aboutir pour faire réussir un projet qui a tout de même beaucoup de sens aussi bien à court terme qu’à une vision beaucoup plus lointaine. Alors que l'activité repart, le secteur aérien qui fait face à plusieurs difficultés : remise en route d'équipements qui avaient été mis en sommeil, recrutements... Ce retour au affaires ne prend toujours pas en compte les marchés asiatiques toujours soumis à de fortes contraintes sanitaires...
Il semble bien que les effets négatifs du désastreux épisode COVID soit maintenant derrière nous. Le trafic est largement reparti, les réservations pour la période été n’ont jamais été aussi nombreuses, les avions sont pleins et les compagnies aériennes commencent à regagner de l’argent. Il est d’ailleurs impératif que les transporteurs, mais également tous les acteurs de ce secteur d’activité retrouvent une forte rentabilité car il faudra bien, non seulement rembourser les aides que les gouvernements ont octroyées sous forme de prêts, mais également se préparer à des investissements massifs pour faire face au défi écologique. Soyons optimistes, les indicateurs vont pour le moment dans le bon sens. Mais du coup, le transport aérien doit faire face à plusieurs difficultés certes conjoncturelles, mais néanmoins bien réelles. Se remettre en ordre de marche La remise en route des installations est essentielle. Pendant la période d’arrêt les décisionnaires du secteur ont été dans l’obligation de fermer nombre d’installations, en particulier celles qui traitaient les flux de passagers. Je veux parler non seulement des infrastructures aéroportuaires, mais également de tous les services que l’on ne voit pas en temps normal, mais qui sont cependant indispensables à la bonne marche de l’activité. Seulement on ne remet pas en opération une telle complexité simplement en claquant des doigts. Les grands aéroports ont tous été dans l’obligation de fermer des terminaux et de concentrer leur activité si diminuée dans un seul endroit. Certains en ont profité pour lancer de grandes opérations de réhabilitation comme par exemple ce que fait Aéroports de Paris dans son Terminal 1. Mais alors la remise en service ne peut se faire que lorsque les travaux sont terminés. L’autre sujet de préoccupation est de retrouver le personnel qui a été amené de gré ou de force à quitter son travail, puisqu’il n’y avait plus d’activité. C’est le cas d’agents très qualifiés tout comme ce ceux qui fournissent des services basiques. Je pense en particulier à ceux qui garnissent les fameux PIFs (Postes d’Inspection Filtrage). Ils sont indispensable à la fluidité à l’intérieur des aérogares. Seulement ce n’est pas si simple de retrouver des agents qui, non seulement doivent être formés, mais qui doivent également être validés par les autorités de sûreté. Pour le moment c’est un des énormes casse-têtes auquel les responsables aéroportuaires sont confrontés. La pénurie de main d'oeuvre A l’autre bout de la chaine, je veux parler des constructeurs et de la chaine logistique qui leur est rattachée, les opérateurs font face à un manque criant de compétences. Beaucoup de ceux qui ont dû quitter leur emploi et qui étaient très qualifiés ont retrouvé une activité dans d’autres secteurs et ils ne veulent pas revenir dans la construction aéronautique. Seulement les commandes ont recommencé à pleuvoir et les fabricants d’avion sont amenés à accélérer la production des chaines de montage, sauf qu’il manque nombre de postes pour les faire fonctionner à plein. C’est ainsi que l’on a pu voir pour la première fois une campagne de publicité d’Airbus sur les taxis parisiens pour lancer un appel à candidatures. Et puis on se rend compte que certains postes sont difficiles à garnir car ils ne sont pas assez rémunérés. C’est ce qui arrive dans le domaine de la distribution autrement dit, des agents de voyages. Certes le métier est ludique, mais pour attirer les compétences il faudra bien que celles-ci soient convenablement payées. Quid des marchés asiatiques ? Bref tout se met en ordre pour que les coûts du transport aérien s’envolent en dépit de la considérable rationalisation que les compagnies aériennes ont réalisée en profitant de la pandémie pour s’alléger des sureffectifs qu’elles avaient accumulées au fil du temps. L’amélioration de la rentabilité passera certainement par un renchérissement des tarifs. Je note d’ailleurs que la jeune génération est prête à payer plus cher un transport aérien plus écologique. C’est ce qui ressort d’une récente étude menée par l’équipe de Paul Chiambaretto dans sa chaire Pégase à Montpellier. Et pourtant, cette rapide remise en route du système ne prend toujours pas en compte les marchés asiatiques toujours soumis à de fortes contraintes sanitaires. Que va-t-il se passer lorsque les frontières de la Chine, de la Corée, et de l’Asie du Sud Est seront complètement ouvertes y compris pour les nationaux de ces pays ? Comment va-t-on absorber ce surplus de clientèle dont on peut imaginer l’impatience à se déplacer ? Le transport aérien est face à un nouveau challenge, l’absorption d’une forte croissance d’activité dans un temps très réduit. Il va devoir faire la preuve de sa capacité à s’adapter. |
Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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