Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il souligne les circonstances actuelles qui peuvent tendre à un nivellement entre legacy et compagnies lowcost.
Paradoxalement la reprise beaucoup plus forte qu’attendue n’est pas une si bonne nouvelle. En effet, il semble bien que les acteurs du secteur aérien ne l’avaient pas anticipée et que le trafic n’arrive plus à s’écouler convenablement. C’est ainsi que de grandes plateformes européennes se sont trouvées complètement engorgées au point de devoir annuler des vols par centaines, voire même de fermer purement et simplement les ventes. Reprise (trop ?) violente ? On peut quand même se demander pourquoi les responsables de cette activité ont fait preuve d’un manque d’anticipation aussi massif. La reprise du transport aérien pouvait pourtant être largement anticipée à partir du moment où la campagne de vaccination connaissait un plein succès. Seulement, la vision a court terme a une fois de plus prévalu. Alors qu’il faut un processus de 6 mois pour qualifier les personnels employés aux PIFs (Postes d’Inspection Filtrage), les recrutements ont été beaucoup trop tardifs, tout simplement parce que la plupart des décisionnaires de ce secteur tablaient sur la peur que les clients de reprendre le chemin des aéroports. C’était sans prendre en compte le formidable besoin de voyager pour tout motif, qu’ils soient personnels ou professionnels. D’ailleurs les aéroports ne sont pas les seuls en cause, bien que, pour le moment, c'est sur eux que les critiques se focalisent. Beaucoup de compagnies ont profité du Covid pour dégraisser massivement leurs effectifs. Certes, dans nombre de pays, elles n’avaient pas le choix car les aides étatiques étaient faibles sinon inexistantes. Reconnaissons tout de même au gouvernement français que sa politique de soutien massif à l’économie a tout au moins permis de garder les salariés, ce qui s’avère bien utile au moment de la reprise. Cela n’a pas été le cas dans nombre de pays plus libéraux que la France. C’est ainsi que les transporteurs traditionnels et « low costs » ont fait partir des salariés expérimentés qui leur font tant défaut aujourd'hui. Finalement les « low costs » sont frappés de plein fouet par la nouvelle situation créée dans le transport aérien. Un rapport de forces inversé Tout d’abord, la pression écologique va certainement obliger les compagnies à revoir leurs plans de vol pour éliminer les trajets considérés comme inutiles et qui sont supportés artificiellement par des prix trop bas, lesquels sont compensés par la vente de services annexes. Il semble difficile de maintenir dans le futur des publicités vantant la mise sur le marché de millions de sièges à 10 ou 15 euros alors que ces prix ne couvrent pas les coûts, même les coûts directs. Or les « low costs » se sont fait une spécialité d’exploiter avec des charges très basses. Ces dernières résultaient certes de rotations plus denses dans une journée mais également et surtout d’une tension forte quant à l’utilisation du personnel. Or le rapport de forces s’est inversé entre les compagnies à bas coûts et leurs salariés. Il y a tout d’abord une réelle pénurie de demandeurs d’emploi et les Etats commencent à se montrer plus suspicieux quant au respect des conditions d’emploi. C’est ainsi qu’on voit se multiplier les préavis de grève chez tous les transporteurs « low costs ». Et ces derniers ne peuvent pas se permettre un arrêt d’exploitation au moment où ils doivent remettre en activité les énormes flottes qu’ils exploitaient avant la pandémie et celles qu’ils avaient commandées au moment où tout allait bien et qui sont en cours de livraison. Nivellement Au fond, le différentiel de charges qui existait il n’y a pas si longtemps entre les transporteurs traditionnels et les « low costs », a tendance à sérieusement diminuer. Les compagnies classiques ont profité du Covid pour se restructurer en profondeur et gagner en compétitivité alors que les « low costs » vont devoir affronter un renchérissement de leurs coûts. Le pétrole qui représente maintenant plus de 30% des charges est acheté au même prix par les uns ou les autres à la notable exception de Ryanair qui avait pu acquérir à l’avance une grosse partie de sa consommation 2022. Les frais aéroportuaires sont les mêmes pour tous les opérateurs. Reste encore un avantage quant à l’utilisation du personnel, mais il a tendance à s’amenuiser, et aux coûts de distribution car les « low costs » se passent des GDS. Bref l’écart se resserre. Le temps n’est peut-être pas si éloigné où les deux concepts vont réellement collaborer et où les compagnies « legacy » utiliseront les « low costs » pour alimenter leurs hubs. Une petite interrogation pour terminer : la compagnie Norwegian Air Shuttle qui a fait les dégâts que l’on connait, revient sur le marché après avoir restructuré sa dette de plusieurs milliards d’euros, est-ce à dre que nombre de fournisseurs ne seront jamais payés ? Où est la morale ? Les commentaires sont fermés.
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Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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