Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il souligne les circonstances actuelles qui peuvent tendre à un nivellement entre legacy et compagnies lowcost.
Paradoxalement la reprise beaucoup plus forte qu’attendue n’est pas une si bonne nouvelle. En effet, il semble bien que les acteurs du secteur aérien ne l’avaient pas anticipée et que le trafic n’arrive plus à s’écouler convenablement. C’est ainsi que de grandes plateformes européennes se sont trouvées complètement engorgées au point de devoir annuler des vols par centaines, voire même de fermer purement et simplement les ventes. Reprise (trop ?) violente ? On peut quand même se demander pourquoi les responsables de cette activité ont fait preuve d’un manque d’anticipation aussi massif. La reprise du transport aérien pouvait pourtant être largement anticipée à partir du moment où la campagne de vaccination connaissait un plein succès. Seulement, la vision a court terme a une fois de plus prévalu. Alors qu’il faut un processus de 6 mois pour qualifier les personnels employés aux PIFs (Postes d’Inspection Filtrage), les recrutements ont été beaucoup trop tardifs, tout simplement parce que la plupart des décisionnaires de ce secteur tablaient sur la peur que les clients de reprendre le chemin des aéroports. C’était sans prendre en compte le formidable besoin de voyager pour tout motif, qu’ils soient personnels ou professionnels. D’ailleurs les aéroports ne sont pas les seuls en cause, bien que, pour le moment, c'est sur eux que les critiques se focalisent. Beaucoup de compagnies ont profité du Covid pour dégraisser massivement leurs effectifs. Certes, dans nombre de pays, elles n’avaient pas le choix car les aides étatiques étaient faibles sinon inexistantes. Reconnaissons tout de même au gouvernement français que sa politique de soutien massif à l’économie a tout au moins permis de garder les salariés, ce qui s’avère bien utile au moment de la reprise. Cela n’a pas été le cas dans nombre de pays plus libéraux que la France. C’est ainsi que les transporteurs traditionnels et « low costs » ont fait partir des salariés expérimentés qui leur font tant défaut aujourd'hui. Finalement les « low costs » sont frappés de plein fouet par la nouvelle situation créée dans le transport aérien. Un rapport de forces inversé Tout d’abord, la pression écologique va certainement obliger les compagnies à revoir leurs plans de vol pour éliminer les trajets considérés comme inutiles et qui sont supportés artificiellement par des prix trop bas, lesquels sont compensés par la vente de services annexes. Il semble difficile de maintenir dans le futur des publicités vantant la mise sur le marché de millions de sièges à 10 ou 15 euros alors que ces prix ne couvrent pas les coûts, même les coûts directs. Or les « low costs » se sont fait une spécialité d’exploiter avec des charges très basses. Ces dernières résultaient certes de rotations plus denses dans une journée mais également et surtout d’une tension forte quant à l’utilisation du personnel. Or le rapport de forces s’est inversé entre les compagnies à bas coûts et leurs salariés. Il y a tout d’abord une réelle pénurie de demandeurs d’emploi et les Etats commencent à se montrer plus suspicieux quant au respect des conditions d’emploi. C’est ainsi qu’on voit se multiplier les préavis de grève chez tous les transporteurs « low costs ». Et ces derniers ne peuvent pas se permettre un arrêt d’exploitation au moment où ils doivent remettre en activité les énormes flottes qu’ils exploitaient avant la pandémie et celles qu’ils avaient commandées au moment où tout allait bien et qui sont en cours de livraison. Nivellement Au fond, le différentiel de charges qui existait il n’y a pas si longtemps entre les transporteurs traditionnels et les « low costs », a tendance à sérieusement diminuer. Les compagnies classiques ont profité du Covid pour se restructurer en profondeur et gagner en compétitivité alors que les « low costs » vont devoir affronter un renchérissement de leurs coûts. Le pétrole qui représente maintenant plus de 30% des charges est acheté au même prix par les uns ou les autres à la notable exception de Ryanair qui avait pu acquérir à l’avance une grosse partie de sa consommation 2022. Les frais aéroportuaires sont les mêmes pour tous les opérateurs. Reste encore un avantage quant à l’utilisation du personnel, mais il a tendance à s’amenuiser, et aux coûts de distribution car les « low costs » se passent des GDS. Bref l’écart se resserre. Le temps n’est peut-être pas si éloigné où les deux concepts vont réellement collaborer et où les compagnies « legacy » utiliseront les « low costs » pour alimenter leurs hubs. Une petite interrogation pour terminer : la compagnie Norwegian Air Shuttle qui a fait les dégâts que l’on connait, revient sur le marché après avoir restructuré sa dette de plusieurs milliards d’euros, est-ce à dre que nombre de fournisseurs ne seront jamais payés ? Où est la morale ? Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, revient sur le partenariat entre l’armateur franco-libanais et le groupe aérien.
Reconnaissons-le, pour une surprise, c’est une surprise. L’annonce d’un partenariat à long terme, dix ans, entre l’armateur Franco-Libanais CMA/CGM et le groupe Air France/KLM publié le 18 mai dernier était tout sauf attendu. Il faut ici saluer la performance des négociateurs qui ont gardé la bouche cousue en dépit du temps qu’il a sans doute fallu pour initier, développer puis achever les discussions. Les premiers articles publiés sur cette affaire sont dans l’ensemble très positifs sinon enthousiastes. C’est bien le moins que l’on pouvait attendre. En effet, si cet accord va au bout de son processus, cela initiera le premier groupe de fret aérien européen avec les flottes tout cargo cumulées d’Air France : 2 Boeing 777 F, de KLM : 4 Boeing 747-400 BCF/ERF et de CMA/CGM 4 Airbus 330-200F auxquelles devraient s’ajouter 12 A350 F dans un proche avenir. Voilà un ensemble très significatif, d’autant plus que l’utilisation des soutes des appareils passagers fait partie également de cet accord. A cet outil de production vient naturellement s’ajouter la force commerciale de chacun des partenaires qui tous ont une grande expérience internationale dans les transports, chacun amenant une spécificité particulière. Le groupe Air France/KLM apporte son expertise dans l’utilisation des avions, ce que n’a pas le partenaire marseillais qui lui détient une colossale expérience dans le cargo et sans doute dans les circuits commerciaux spécialisés. CMA/CGM bientôt au capital d’AF/KLM ? Et, cerise sur le gâteau, la CMA/CGM propose d’entrer au capital d’Air France/KLM, ce dont cette dernière a un besoin urgent pour reconstituer ses fonds propres bien mis à mal en particulier au cours des deux derniers exercices. Le montant de recapitalisation nécessaire est tout simplement énorme : il s’agit au bas mot de 4 milliards d’euros alors que la capitalisation boursière du groupe n’est que de 2,826 milliards au dernier cours de l’action qui est de 4,71 euros. L’affaire pourrait être d’autant plus intéressante que, si l’armateur Franco-Libanais va au bout de ses intentions, cela pourrait bien amener d’autres investisseurs à rejoindre la nécessaire augmentation de capital. Enfin, rappelons que le rapprochement d’Air France et de KLM avait dans un premier temps été extrêmement bénéfique en améliorant l’utilisation des flottes des deux protagonistes qui jusqu’alors avaient largement été utilisées à se faire concurrence et qui, dès lors l’ont été pour occuper beaucoup mieux le terrain, ce qui a permis la conquête de nouveaux marchés sans pour cela devoir massivement investir. Bref, sur le papier, tout se présente pour le mieux. Complexe d’infériorité Mais comme dans tout accord, il peut aussi y avoir un revers de médaille. Je note d’abord que le groupe CMA/CGM est beaucoup plus puissant que son partenaire aérien. Son chiffre d’affaires est de 53 milliards d’euros au cours actuel du dollar, contre 27,68 milliards d’euros pour Air France/KLM lorsque l’exploitation est entièrement déployée. Côté effectif, on trouve 110.000 postes chez CMA/CGM contre 86.100 chez Air France/KLM et ses filiales. Mais là ou le décalage est le plus frappant, c’est dans la rentabilité. Alors que le groupe aérien peine à équilibrer ses comptes, toujours en année normale, le groupe naval a dégagé en 2021 17,894 milliards de dollars de bénéfice, soit l’équivalent de 17 milliards d’euros. Cela représente un ratio de résultat de 32% du chiffre d’affaires. Autrement dit, Air France/KLM va s’allier avec un partenaire deux fois plus gros en matière d’activité et dont les résultats financiers sont incomparablement supérieurs. On peut alors se demander qui va diriger l’opération. Certes le côté aérien donnerait un poids certain au groupe Franco/Néerlandais, mais l’apport économique penche bien évidemment du côté marseillais, et ce sera d’autant plus à son avantage s’il entre au capital. Il ferait d’ailleurs une excellente affaire au cours actuel de 4,71 euros l’action en sachant que lors de son entrée en bourse, le titre Air Fance/KLM était coté au-dessus de 14 euros. Je note également l’homogénéité du management pour la partie CMA/CGM comparée aux difficultés que subit le groupe binational aérien, ce qui ralentit considérablement ses prises de décision. Dernier constat, l’outil opérationnel de départ est peu rationnel avec à terme, si les A350 F sont confirmés, 4 types d’appareils très différents les uns des autres, en provenance de 2 constructeurs, le tout géré par des équipes provenant d’au moins 3 centres de décision. Bref, tout n’est pas gagné. Il faudra de la part des partenaires une farouche volonté d’aboutir pour faire réussir un projet qui a tout de même beaucoup de sens aussi bien à court terme qu’à une vision beaucoup plus lointaine. Alors que l'activité repart, le secteur aérien qui fait face à plusieurs difficultés : remise en route d'équipements qui avaient été mis en sommeil, recrutements... Ce retour au affaires ne prend toujours pas en compte les marchés asiatiques toujours soumis à de fortes contraintes sanitaires...
Il semble bien que les effets négatifs du désastreux épisode COVID soit maintenant derrière nous. Le trafic est largement reparti, les réservations pour la période été n’ont jamais été aussi nombreuses, les avions sont pleins et les compagnies aériennes commencent à regagner de l’argent. Il est d’ailleurs impératif que les transporteurs, mais également tous les acteurs de ce secteur d’activité retrouvent une forte rentabilité car il faudra bien, non seulement rembourser les aides que les gouvernements ont octroyées sous forme de prêts, mais également se préparer à des investissements massifs pour faire face au défi écologique. Soyons optimistes, les indicateurs vont pour le moment dans le bon sens. Mais du coup, le transport aérien doit faire face à plusieurs difficultés certes conjoncturelles, mais néanmoins bien réelles. Se remettre en ordre de marche La remise en route des installations est essentielle. Pendant la période d’arrêt les décisionnaires du secteur ont été dans l’obligation de fermer nombre d’installations, en particulier celles qui traitaient les flux de passagers. Je veux parler non seulement des infrastructures aéroportuaires, mais également de tous les services que l’on ne voit pas en temps normal, mais qui sont cependant indispensables à la bonne marche de l’activité. Seulement on ne remet pas en opération une telle complexité simplement en claquant des doigts. Les grands aéroports ont tous été dans l’obligation de fermer des terminaux et de concentrer leur activité si diminuée dans un seul endroit. Certains en ont profité pour lancer de grandes opérations de réhabilitation comme par exemple ce que fait Aéroports de Paris dans son Terminal 1. Mais alors la remise en service ne peut se faire que lorsque les travaux sont terminés. L’autre sujet de préoccupation est de retrouver le personnel qui a été amené de gré ou de force à quitter son travail, puisqu’il n’y avait plus d’activité. C’est le cas d’agents très qualifiés tout comme ce ceux qui fournissent des services basiques. Je pense en particulier à ceux qui garnissent les fameux PIFs (Postes d’Inspection Filtrage). Ils sont indispensable à la fluidité à l’intérieur des aérogares. Seulement ce n’est pas si simple de retrouver des agents qui, non seulement doivent être formés, mais qui doivent également être validés par les autorités de sûreté. Pour le moment c’est un des énormes casse-têtes auquel les responsables aéroportuaires sont confrontés. La pénurie de main d'oeuvre A l’autre bout de la chaine, je veux parler des constructeurs et de la chaine logistique qui leur est rattachée, les opérateurs font face à un manque criant de compétences. Beaucoup de ceux qui ont dû quitter leur emploi et qui étaient très qualifiés ont retrouvé une activité dans d’autres secteurs et ils ne veulent pas revenir dans la construction aéronautique. Seulement les commandes ont recommencé à pleuvoir et les fabricants d’avion sont amenés à accélérer la production des chaines de montage, sauf qu’il manque nombre de postes pour les faire fonctionner à plein. C’est ainsi que l’on a pu voir pour la première fois une campagne de publicité d’Airbus sur les taxis parisiens pour lancer un appel à candidatures. Et puis on se rend compte que certains postes sont difficiles à garnir car ils ne sont pas assez rémunérés. C’est ce qui arrive dans le domaine de la distribution autrement dit, des agents de voyages. Certes le métier est ludique, mais pour attirer les compétences il faudra bien que celles-ci soient convenablement payées. Quid des marchés asiatiques ? Bref tout se met en ordre pour que les coûts du transport aérien s’envolent en dépit de la considérable rationalisation que les compagnies aériennes ont réalisée en profitant de la pandémie pour s’alléger des sureffectifs qu’elles avaient accumulées au fil du temps. L’amélioration de la rentabilité passera certainement par un renchérissement des tarifs. Je note d’ailleurs que la jeune génération est prête à payer plus cher un transport aérien plus écologique. C’est ce qui ressort d’une récente étude menée par l’équipe de Paul Chiambaretto dans sa chaire Pégase à Montpellier. Et pourtant, cette rapide remise en route du système ne prend toujours pas en compte les marchés asiatiques toujours soumis à de fortes contraintes sanitaires. Que va-t-il se passer lorsque les frontières de la Chine, de la Corée, et de l’Asie du Sud Est seront complètement ouvertes y compris pour les nationaux de ces pays ? Comment va-t-on absorber ce surplus de clientèle dont on peut imaginer l’impatience à se déplacer ? Le transport aérien est face à un nouveau challenge, l’absorption d’une forte croissance d’activité dans un temps très réduit. Il va devoir faire la preuve de sa capacité à s’adapter. Je suis frappé par la volonté des compagnies aériennes de devenir plus grosses, en clair obtenir une taille telle qu’elles auraient leur survie assurée. Dans le cas où elles n’y parviendraient pas, elles cherchent à s’adosser à un autre transporteur. Le raisonnement communément tenu est que les marchés étant devenus mondiaux, si un transporteur ne peut pas proposer à ses clients potentiels une offre suffisante, ils iront alors vers leur concurrent. Bref, plus on est gros et plus on est beau. Est-ce si sûr ?
Chapter 11 Les plus grosses compagnies aériennes sont sans conteste les 3 majors américaines : American Airlines, Delta Air Lines et United Airlines. Ces énormes groupes ont été construits par rachats et fusions successifs. Et les résultats sont là. Ils sont les premiers à ressortir de la période noire traversée pour cause de Covid. Ils vont probablement afficher de très bons résultats cette année. Voilà qui plaide pour la valeur des rapprochements entre les transporteurs. Cependant, c’est oublier que les trois groupes cités sont tous passés par la phase du Chapter 11, l’équivalent plus souple du dépôt de bilan européen. Ce système leur a permis de se restructurer massivement. En fait tous les grands opérateurs américains sont passés par cette procédure à la notable exception d’Alaska Airlines, notoirement plus petit que ses concurrents et Southwest Airlines qui reste le modèle des low costs. Le marché sud-américain ne fait pas exception à la règle. Les deux plus gros groupes : Latam et Avianca ont dû se placer sous la protection du Chapter 11 américain. Quant à Varig, le transporteur drapeau brésilien, il est tout simplement passé à la trappe. En Europe la situation est un peu identique. British Airways ne s’est sortie de ses difficultés qu’en diminuant ses opérations de 30% avant de retrouver une excellente santé et de créer le groupe IAG qui fait tout de même face à d’importants sujets de préoccupation, ne serait-ce que par la conjonction du Covid et du Brexit, excusez du peu. Air France/KLM n’arrive pas à dégager un résultat convenable depuis des années. En fait, une fois passés les effets bénéfiques opérationnels du rapprochement entre les compagnies française et hollandaise, les difficultés se sont accumulées et sans l’appui considérable de leurs gouvernements respectifs, le groupe n’aurait pas survécu. Small is beautiful A l’opposé ces opérateurs de taille beaucoup plus modestes, tirent parfaitement leur épingle du jeu. Le meilleur exemple vient de Singapore Airlines. Cette compagnie a été fondée en 1937 sous le nom de Malayan Airways, au moment où Singapour était encore sous domination britannique. Après la guerre et l’éphémère fédération entre la Malaisie et Singapour, l’île état a pris son indépendance en 1972 et la compagnie a alors pris le nom de Singapore Airlines. Elle est basée dans un pays qui ne dispose pas d’un marché susceptible de lui assurer une économie suffisante. Elle a donc été obligée de trouver une clientèle à l’extérieur de son territoire d’origine. Pour ce faire, elle a misé sur la qualité plutôt que le volume. Elle est devenue une référence quant aux soins portés à ses clients et elle a obtenu des installations aéroportuaires à la hauteur de ses ambitions. Cela ressemble énormément à la situation d’Emirates et de Dubaï. Et les résultats sont là. Depuis 2000, la compagnie n’a connu que trois exercices en perte opérationnelle : 39 millions de dollars Singapour en 2009/2010 soit 26 millions d’euros, 212 millions de dollars Singapour en 2019/2020 et bien entendu 4.270 millions en 2020/2021 soit 2.8 milliards d’euros. Il faudra bien oublier un jour ces deux années catastrophiques pour analyser les fondamentaux du transport aérien. Reste que le transporteur singapourien dégage des résultats confortables, de l’ordre de 350 millions d’euros en moyenne depuis plus de 20 ans, le tout avec une taille largement inférieure à celle des grands groupes : un chiffre d’affaires de l’ordre de 11 milliards d’euros en année pleine à comparer aux 25 milliards d’euros du groupe Air France/KLM. Ce n’est pas le seul exemple. Plus près de nous Air Caraïbes avec une taille très modeste par rapport aux autres compagnies internationales, tire parfaitement son épingle du jeu alors que Corsair est à la peine avec une taille à peu près identique. Alors, on se demande pourquoi ITA, la nouvelle compagnie « nationale » italienne cherche désespérément à se rapprocher d’un autre transporteur. Elle risque d’y perdre sa personnalité et sa culture et pourtant on sait combien ces valeurs sont importantes pour les italiens. Il n’est pas nécessaire d’être gros pour être distribué et commercialisé mondialement. Les possibilités sont multiples y compris d’accords commerciaux et opérationnels avec des partenaires choisis. A rechercher désespérément un actionnaire, ITA risque tout bêtement de rater son entrée sur les marchés. Les petits opérateurs ont au moins les mêmes chances de prospérité que les gros. Voilà qui est tout de même réconfortant. Il faut faire un peu d’histoire pour bien comprendre ce qui se passe pour la généralisation de la norme NDC. A l’origine de ce qui s’annonce comme une vraie bagarre, il y a la création des GDS qui prenaient la suite des CRS (Computer Reservation Systems), en fait les systèmes d’inventaires électroniques des compagnies aériennes en opération depuis le début des années 1970.
Chaque grande compagnie avait alors le sien, Alpha 3, par exemple pour Air France et les agences de voyages étaient alors équipées de ces CRS. Pour éviter les suréquipements, chaque CRS abritait les vols des autres compagnies concurrentes, sauf que celles-ci étaient reléguées après les affichages de la compagnie propriétaire du CRS. Cela marchait d’ailleurs très bien jusqu’au moment où la libéralisation du transport aérien a changé la donne, c’était en 1978. A ce moment-là, Sabre le CRS d’American Airlines était dominant dans les agences de voyages des Etats-Unis et les transporteurs concurrents ne pouvaient plus admettre de ne pas bénéficier de la neutralité d’affichage des vols. Comment les GDS ont mis en place le modèle économique actuel La réponse d’American Airlines a été d’accepter un affichage neutre contre une rémunération fixée alors à 3 dollars par passager et par vol. C’était la naissance du premier GDS (Global Distribution System). Voilà comment transformer une charge en un véritable trésor de guerre. Cette exceptionnelle réussite a suscité des envieux et les autres transporteurs se sont mis à faire de même. C’est ainsi qu’ont été créés par exemple Amadeus par Air France, Lufthansa, Iberia et SAS ou Galileo avec United Airlines, British Airways, Swissair et Alitalia. Et les GDS sont devenus une véritable machine à cash à raison de 3 dollars par passager, pour des coûts très faibles puisque les agences de voyages étaient déjà reliées aux inventaires des compagnies. Seulement la concurrence entre les GDS est devenue féroce, chacun des grands systèmes Amadeus, Galileo, Worldspan et Sabre voulant s’implanter chez les distributeurs. Ils ont alors inventé un mode de promotion redoutable qui consistait à rémunérer les agences de voyages à raison d’au moins un dollar par passager réservé dans le GDS. Autrement dit, les GDS faisaient payer 3 dollars aux compagnies aériennes pour en redonner un tiers aux distributeurs. Tout le monde y trouvait son compte et les GDS ont commencé à prendre une valeur considérable. Amadeus, par exemple était valorisé à 7 milliards d’euros. Voilà qui constituait une aubaine pour les propriétaires, dont Air France qui en détenait 23% soit l’équivalent de 1,6 milliards d’euros. Comme le modèle est devenu insoutenable pour les compagnies C’est l’époque où les compagnies traditionnelles, assaillies par les nouveaux acteurs du transport aérien, les « low costs », se sont trouvées en grande difficulté. Alors, pour faire un peu de cash, elles ont toutes revendu leurs parts dans les GDS, pour l’essentiel à des fonds d’investissement. Mais ces derniers ont alors décidé d’augmenter fortement les redevances payées par les transporteurs pour bénéficier d’un service devenu indispensable. C’est ainsi que le prix à payer pour les compagnies aériennes est monté vers 6 à 7 dollars par passager au moment où le nombre de passagers s’envolait et où les tarifs diminuaient régulièrement sous l’effet de la concurrence des « low costs » qui, eux, se distribuaient en dehors des GDS et qui donc ne leur payaient aucune redevance. Cela représentait tout de même 14 dollars pour un aller-retour sur des tarifs qui pouvaient descendre jusqu’à 50 à 60 dollars. A long terme, cette charge a été considérée comme insoutenable par les compagnies aériennes. Pour se sortir de cette situation, IATA a alors imaginé de faire migrer les compagnies membres de son association sur un langage informatique plus sophistiqué le XML qui permet d’envoyer aux distributeurs des informations beaucoup plus sophistiquées que celles disponibles dans les GDS qui affichent uniquement des caractères alphanumériques. En sortant des GDS, Air France pourrait économiser 500 millions de dollars par an Le XML permet d’envoyer des photos, des vidéos non seulement reliées aux sièges avions, mais de présenter et de réserver tous les autres services annexes, y compris des chambres d’hôtel, locations de voitures et toutes les surcharges que les transporteurs peuvent créer à loisir. Mais pour concurrencer les GDS et offrir la même information globale sur le transport aérien, il faut que toutes les compagnies adoptent le même standard de communication. C’est l’objet du NDC (New Distribution Capability) dont les premiers essais ont été faits en 2015, il y a maintenant plus de 6 ans. L’enjeu pour les transporteurs est considérable. Si une compagnie comme Air France/KLM dont 60% au moins des transactions passent par les GDS, arrive à s’en affranchir, cela représente une économie de l’ordre de 500 millions de dollars chaque année. Reste que la mise en route est très compliquée. La migration des données de réservation vers le nouveau système est couteuse et beaucoup de petits transporteurs ne pourront pas supporter cette charge. Mais alors des agences de voyages seront réticentes à utiliser un NDC qui ne donnerait pas accès à la totalité de l’offre aérienne. En dépit de la volonté farouche des grandes compagnies pour imposer le NDC à leurs distributeurs, l’affaire n’est pas gagnée et les GDS n’ont pas dit leur dernier mot. C’est un phénomène nouveau. Depuis quelques années, les responsables politiques se croient portés par la vague écologiste et, par voie de conséquence, le transport aérien leur est devenu indifférent, pour ne pas dire plus.
Or, l’essor de l’aviation n’aurait pu se faire sans le support considérable des gouvernements. La France, tout comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, sont des exemples particulièrement édifiants à cet égard. D’ailleurs, c’est également le cas de nombreux autres grands pays, tels que les USA, la Chine et même la Russie. Pendant longtemps, le transport aérien a été synonyme de prospérité, de liberté et, pour tout dire, de progrès. Soutien Les grands constructeurs n’auraient certainement pas pu exister sans l’appui constant des pouvoirs publics. Les compagnies aériennes n’ont pu se développer qu’avec le soutien des gouvernements qui les ont protégées pendant des années, à tel point qu’elles se sont trouvées impuissantes devant l’offensive des « low costs ». Le contrôle aérien ne saurait exister sans que les Etats ne confient à des organismes officiels la gestion de leur espace aérien. Et pour finir, les aéroports ont tous commencé par être des émanations des pays ou des grandes villes avant d’être progressivement privatisés, sans que le cordon ombilical avec les pouvoirs publics ne soit rompu. Bref, sans les gouvernements, le transport aérien n’aurait certainement pas pu connaître l’essor qui a été le sien. Comment se fait-il que les responsables politiques s’en détournent maintenant comme s’il était devenu infréquentable ? Le 17 mars dernier, un grand débat a été organisé par le think tank Transport Développement Intermodalité Développement (TDIE) entre les représentants des candidats à l’élection présidentielle. Je ne note d’abord qu’aucun des candidats n’a trouvé le temps pour venir défendre lui-même son point de vue, comme d’ailleurs cela s’est passé dernièrement pour un important colloque sur le tourisme. Cela a cependant permis de connaître la philosophie de nos responsables politiques vis-à-vis des modes de transport et plus particulièrement des choix à faire entre la voie ferrée et le transport aérien. Constante Il faut bien dire qu’une constante se dégage entre tous les partis politiques. Chaque fois qu’il y a une alternative entre le train et l’avion, c’est le premier mode de transport qui doit être privilégié et donc financé. J’ai été frappé de voir avec quelle désinvolture les candidats pouvaient promettre les financements du mode ferroviaire par milliards d’euros et avec quelle facilité ils proposaient de taxer un peu plus le transport aérien, le tout au nom de la sacro-sainte écologie. Mais depuis quand le transport aérien n’est-il pas écologique ? Quel mode de transport a fait plus d’efforts et a investi autant que l’aérien pour diminuer la pollution qu’il génère ? Certes, la voiture a récemment fait une énorme conversion industrielle en passant progressivement au tout électrique, sauf que cela conduit à produire des batteries dont on ne sait que faire une fois qu’elles sont usées, si ce n’est à les envoyer par containers entiers dans les pays sous-développés et sans se préoccuper de leur devenir une fois éloignées de nos territoires. Donc au nom d’une écologie qui devient punitive, nos gouvernants ont pour proposition d’abord la taxation du kérosène dont il faut répéter qu’il ne subit pas la TVA dès lors que l’on fait un trajet international, comme c’est d’ailleurs la règle générale pour tous les types de biens et de services. Pourquoi le transport aérien ferait-il alors exception ? 2h30 Et l’interdiction pure et simple d’opérer sur des lignes pouvant être desservies en 2 heures 30 pour le moment, mais pourquoi pas 4 heures voire 6 heures, par la voie ferrée. Qui se pose la question du libre choix des clients ? Qui se demande si le transport aérien ne serait pas plus adapté que le train pour desservir les villes de moindre importance ? En quoi ne serait-il pas plus intéressant que la voie de surface pour les liaisons transversales ? Il semble bien que la vague écologiste a imprégné la pensée de nos responsables politiques actuels. Voilà qui est bien, mais en quoi cette pensée doit-elle être dirigée contre le transport aérien ? Celui-ci a intégré le coût des énormes investissements qu’il faudra consentir pour arriver à la neutralité carbone. En est-il de même des autres modes de transport ? Cela posé, ce n’est pas demain que les décisionnaires politiques renonceront à l’avion ne serait-ce que pour partir en vacances ou pour mener leurs campagnes électorales. Les résultats 2021 sont tombés et comme on pouvait s’y attendre, ils ne sont pas bons.
La perte nette du groupe se monte à 3,294 milliards d’euros ce qui correspond à un déficit journalier de 12,5 millions d’euros par jour ou de 521.000 euros chaque heure. Certes, on constate une très forte amélioration par rapport à l’année précédente qui avait enregistrée une perte historique de plus de 7 milliards d’euros. Bien entendu l’absence de coordination des Etats au cours de la pandémie est la cause essentielle des difficultés du groupe. Les gouvernements conscients à la fois de leur propre responsabilité et de la nécessite de garder leur transporteur national en vie, ont largement mis la main à la poche. C’était le moins qu’ils puissent faire. Leur effort a été considérable avec plus de 10 milliards d’aides cumulées entre les états français et néerlandais. Cela représente quant même 126.000 euros par salarié du groupe, sans compter les facilités liées au chômage partiel. Le gouvernement a réaffirmé son soutien à la compagnie Et maintenant comment se sortir de cette difficile situation ? Petit à petit l’horizon s’éclaircit. La pandémie est en passe d’être jugulée, les frontières se réouvrent et les clients sont toujours aussi avides de voyager. Comme l’outil opérationnel n’a pas trop souffert, et il faut tout de même rendre hommage aux dirigeants pour cela, le trafic pourra repartir rapidement. D’ores et déjà l’ouverture des Etats Unis en octobre 2021 s’est faite immédiatement ressentir sur les comptes du groupe. Le dernier trimestre a même dégagé une marge d’exploitation supérieure à celle enregistrée pour la période équivalente d’avant Covid. Et puis l’Etat français a transformé un prêt en augmentation de capital ce qui lui vaut de représenter maintenant plus de 28% du capital alors que les Pays Bas ont régressé de 14% à 9%. Enfin et ce fait est également à noter, le Ministre de l’Economie et des Finances, a récemment réaffirmé la décision du gouvernement français de soutenir sa compagnie aérienne, presque « quoi qu’il en coûte », pourrait-on dire. Air France - KLM : quid de la reconstitution des fonds propres ? Mais la situation reste pour autant très délicate. La situation du groupe est fragile non pas depuis le début de la pandémie mais au moins depuis 2009. Cela fait maintenant 12 ans. Depuis cette année-là, le groupe a cumulé une perte de plus de 15 milliards d’euros. Certes les deux derniers exercices ont à eux seuls ajouté 10 milliards à la perte de plus de 5 milliards cumulée entre 2009 et 2019. Pour préserver son rang, il a fallu emprunter massivement et le coût de la dette devient problématique. A la lecture des comptes 2021, il ressort à 728 millions d’euros contre 496 l’année précédente. La dette nette a bien été diminuée passant de 11,049 milliards d’euros à 8,216 milliards suite à l’augmentation de capital et à la levée d’obligations perpétuelles qu’il faudra tout de même financer, mais le boulet reste très lourd à trainer. Il représente près de 110.000 euros par salarié. Et cette charge est prévue d’augmenter très sérieusement au cours des prochaines années. Pour tout dire je ne voudrais pas être à la place des dirigeants. Ils sont devant un obstacle considérable, celui de la reconstitution des capitaux propres. Ceux-ci sont négatifs de 3,816 milliards. Or un transporteur doit obligatoirement avoir des fonds propres positifs sauf à perdre son CTA (Certificat de Transport Aérien) ce qui l’amènerait à un arrêt brutal d’exploitation. Le groupe a jusqu’à 2023 pour les rendre positifs. KLM, Transavia... : vers une vente d'actifs ? La butée est très proche et les résultats attendus au titre de 2022 ne permettront certainement pas de les reconstituer. Alors il restera uniquement deux solutions : augmenter le capital ou le montant des obligations perpétuelles lesquelles sont analysées comme des quasi fonds propres, ou se désendetter par la vente massive d’actifs. Qui pourrait souscrire à une augmentation de capital si ce n’est l’Etat français ? Mais cela lui fera passer la barre des 30% et il sera alors conduit à nationaliser Air France-KLM. Il n’est pas certain qu’il le veuille, ni que les autorités européennes donnent leur accord, ni même que la partie néerlandaise y souscrive. Dans tous les cas, cela prendra du temps d’autant plus que la situation électorale en France est telle que rien ne peut bouger avant fin juin, au moment ou la nouvelle assemblée sera constituée et le nouveau gouvernement stabilisé. Reste le désendettement par la vente d’actifs. Au fond le groupe Air France-KLM est encore très riche. La mise sur le marché de KLM, de Transavia Hollande et de Transavia France doit représenter un montant considérable, probablement entre 5 et 7 milliards d’euros sans compter Air France Industrie. Dans cette hypothèse, Air France resterait seule avec son produit historique. On se retrouverait dans la configuration des années 1990, avec cependant la capacité de garder les accords opérationnels avec KLM. Ce type de chirurgie lourde a sauvé en son tems British Airways et lui a permis de rebondir. Une constante : l’écologie
Quoiqu’en disent ses détracteurs, le secteur aéronautique est totalement impliqué dans la recherche de la neutralité carbone. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Dès le début des années 2000, Giovanni Bisignani, alors directeur général de IATA, avait fixé comme objectif au transport aérien la neutralité carbone en 2050. Les recherches n’ont pas cessé et elles se sont même accentuées. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’avec une croissance moyenne de 5% par an depuis 2000, soit une multiplication du trafic par 2,5 en 20 ans, la part des émissions ait constamment diminué pour de positionner aux alentours de 2,5%. Il n’y a d’ailleurs rien de mystérieux à cette évolution. L’écologie est très rentable pour le transport aérien. Moins il consomme et plus il est profitable. C’est d’ailleurs un des facteurs qui a permis la baisse constante des tarifs, même si celle-ci est devenue excessive. Voilà une première certitude : l’excellence en matière environnementale sera la priorité des années à venir. Un problème : les affichages tarifaires Les compagnies aériennes ont décidément beaucoup de mal à revenir sur leurs mauvaises habitudes qui consistent à privilégier les volumes de passagers à la rentabilité des entreprises. Mieux-même, elles ont lié les objectifs de prospérité au taux d’occupation des appareils. La hantise du siège vide, voilà ce qui conduit les stratégies commerciales des transporteurs. C’est ainsi que les campagnes publicitaires n’ont pour but que de mettre en avant des niveaux tarifaires dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne couvrent pas les coûts. Alors qu’on aurait pu penser que l’arrêt forcé des exploitations ait conduit les dirigeants à revoir leur modèle de communication pour mettre en avant les aspects confort, sécurité, environnement, bref ce qui est dans l’air du temps, on ne voit pour le moment que des annonces tarifaires dites promotionnelles. Quand donc les transporteurs décideront-ils de communiquer sur ce qui fait les vraies valeurs du transport aérien et pas sur ce qui détruit sa perception dans le public ? Une certitude : la croissance va revenir Certes les flux aéronautiques vont changer. Dans les pays les plus développés les dessertes par voie terrestre vont gagner une part de marché conséquente sur l’aérien. C’est en particulier le cas en Europe où les distances sont courtes et les équipements au sol importants. Mais ce n’est certainement pas une situation générale dans le monde. Dans la plupart des pays, le transport aérien restera indispensable pour des raisons multiples : grandes distances, infrastructures au sol déficientes et contraintes de sécurité. Et puis il restera tous les vols long-courriers pour lesquels il n’existe aucune alternative à l’avion. On entend ici et là que le trafic « affaires » sera progressivement remplacé par des visio-conférences. Je n’en crois rien pour au moins deux raisons : d’abord s’il est possible de préparer un contrat ou de donner des directives à des équipes éloignées, rien ne remplacera le contact direct pour finaliser les transactions. Et puis n’oublions pas que les déplacements en classes affaires ou prémium rapportent beaucoup de miles et que ces FFP (Frequent Flyers Programs) sont très appréciés par les voyageurs professionnels, pour des raisons familiales. La marche en avant va reprendre dès que la totalité des frontières seront réouvertes,, et elle sera solide. Une nouveauté : les eVTOLS C’est un vieux rêve, celui du tapis volant d’Aladin. Il est en passe de devenir réalité. Les nouveaux taxis volants à propulsion électrique sont en cours d’expérimentation. Même les grands constructeurs s’y intéressent. Il ne fait aucun doute que leur fiabilité sera suffisante pour assurer la sécurité à laquelle le transport aérien est si attaché. Reste qu’il faudra intégrer ces nouveaux objets volants dans les espacés aériens urbains, et ce ne sera pas une mince affaire. Gageons néanmoins que l’on verra les premières dessertes régulières avant la fin de la décennie. Le transport aérien n’est pas mort, loin s’en faut, même si cela déplait à certains tenants de la décroissance. Et c’est très bien pour la planète. Faire remonter les tarifs. Voilà un objectif vers lequel tendent non seulement toutes les compagnies mais également tous les acteurs de la chaîne du transport aérien au premier rang desquels les aéroports. Il faut se refaire une santé après les deux années terribles vécues par le secteur. D’ailleurs, se profilent d’autres enjeux écologiques qu’il faudra bien résoudre à affronter et cela ne pourra se faire que par des recherches certainement coûteuses. Comment les financer ?
On peut toujours se tourner vers les gouvernements et leur demander les moyens économiques dont aura besoin le transport aérien. Il est fort douteux que dans l’époque actuelle, largement livrée au « bashing aérien», ils prêtent une oreille attentive à ce genre de sollicitations. Il faut donc trouver à l’intérieur de cette activité les ressources nécessaires à la fois pour regagner l’équilibre financier de tout le secteur, mais également pour financer les investissements nécessaires et ils seront sans doute colossaux. Inverser la tendance A partir de ce constat, quel modèle adopter pour entrer dans une spirale vertueuse qui permettra de répondre aux formidables défis qui attendent cette activité ? S’il est impossible de faire appel aux finances publiques, il faudra bien se résoudre à traiter cette question à l’intérieur même du transport aérien. Certes, celui-ci a fait d’énormes efforts pour se rationnaliser, ne serait-ce que pour survivre aux effets de la pandémie. Cela ne suffira certainement pas. Il faudra bien se résoudre à renverser la baisse tarifaire constante depuis un quart de siècle au moins. Elle a été d’ailleurs très utile pour populariser le transport aérien et promouvoir les échanges entre les populations dont personne ne peut douter de leur intérêt pour maintenir la paix entre les peuples. Mais il semble bien que l’on ait atteint le point le plus bas de la courbe en utilisant tous les artifices dont les transporteurs pouvaient disposer. Car, qu’on le veuille ou non, ce sont bien les opérateurs qui sont responsables des tarifs mis sur les marchés. Alors ils se sont acharnés à gagner des volumes de passagers de plus en plus considérables et, pour cela, de chercher les moyens d’afficher les tarifs les plus attractifs, même si ces derniers n’ont souvent aucun sens économique. Poussées par les compagnies « low costs » bâties à partir d’une feuille blanche, c’est-à-dire sans la contrainte du passé, et par conséquent capables d’équilibrer leurs charges avec des recettes moindres et des modèles nouveaux, les compagnies traditionnelles se sont lancées dans une course aux artifices pour mettre sur le marché des tarifs au moins comparables. Pour ce faire, elles ont utilisé deux moyens essentiels : le « yield management » qui permet d’afficher n’importe quel prix à n’importe quel moment et l’arrêt des commissions aux distributeurs, en clair les agents de voyages. Le résultat est incontournable, les prix ont été tirés vers le bas par les distributeurs lesquels ont à leur disposition des comparateurs tarifaires performants, alimentés d’ailleurs par les transporteurs. Dès lors, ils ne permettent plus d’obtenir une rentabilité raisonnable pour un secteur très demandeur de capitaux. Pour un retour aux commissions aux agences La solution réside dans deux mesures finalement pas si difficiles à prendre. D’abord arrêter cette folie de multiplications tarifaires qui ont conduit à déconnecter le produit de son prix de vente, à l’inverse de tout ce qui se pratique dans la plupart des secteurs d’activité. De très nombreux tarifs ne servent qu’à obtenir un effet d’annonce destiné à attirer les clients afin de leur vendre au prix fort les services annexes. Et puis il faudra bien que les compagnies se décident à revenir à la commission pour les agents de voyages. Certes il n’est pas question de les rémunérer sur les bas tarifs, mais il serait plus qu’utile, je dirais même vertueux de le faire pour les prix les plus élevés. Tout le monde peut comprendre que si les agents de voyages retrouvaient une commission de l’ordre de 7% sur les tarifs affaires, prémiums ou plein tarifs économique, ils auraient tendance à les proposer, et même à les promouvoir, auprès de leurs clients, alors que pour le moment ils font l’inverse, car ils doivent appliquer des frais de dossiers qui seuls leur permettent d’équilibrer leurs comptes. Quoiqu’elles en pensent, et même avec les outils informatiques actuels, les compagnies aériennes doivent accepter le fait que 70% des clients sont ceux des agents de voyages et ces derniers peuvent grandement les orienter pour leurs achats. C’est par la conjonction des actions de tous les acteurs de la production et de la distribution du transport aérien que l’on arrivera à la nécessaire remontée des tarifs… en douceur. Alors que l’UNCAF milite pour des prix planchers pour les trajets aériens, Jean-Louis Baroux, expert aérien et ancien président d'APG, revient sur le système de "tarifs prédateurs" proposés par les compagnies aériennes. Des tarifs qui ne correspondent à aucune réalité économique et qui ont pour effet de mettre dans l’idée des clients de fausses références...
L’UNCAF, le troisième syndicat professionnel des compagnies aériennes françaises, a jeté un joli pavé dans la mare en proposant des prix planchers pour les trajets aériens : 350€ TTC pour les vols domestiques, 450€ TTC pour les liaisons européennes et 550€ TTC pour les longs courriers. Les réactions ont été très vives contre cette idée, mais leur importance montre que le sujet titille les transporteurs. On voit bien que la cible de l’UNCAF est pour l’essentiel les 4 plus importants « low costs » qui ont en peu de temps ratissé le marché domestique français : Ryanair, EasyJet, Vueling et Volotea. Aucun français dans cette liste et ces compagnies gagnent de l’argent là où notre transporteur national en perd et n’est même plus en capacité de desservir correctement le territoire métropolitain. "Le transport aérien mondial va dans le mur" Pourquoi donc cette levée de boucliers de la part des compagnies françaises ? La première réponse qui vient à l’esprit est que la grille tarifaire affichée est un peu trop grossière et peu adaptée aux réalités économiques. La deuxième est que la proposition fait fi des différences importantes entre les prix de revient des compagnies aériennes. Certaines sont plombées par l’histoire et le poids syndical. Elles trainent un boulet financier dont elles aimeraient bien se débarrasser. Ce n’est pas si facile. D’autres plus récentes et mieux gérées affichent des coûts de production pas si éloignés de ceux des « low costs ». Pour autant, est-ce que la proposition de l’UNCAF est stupide ? Je ne le crois pas. Depuis des années je constate que le transport aérien mondial va dans le mur en ne se préoccupant que d’augmenter le nombre de passagers. Je note que la plupart des communiqués de presse mentionnent la progression en termes de volume et de coefficient de remplissage, et pratiquement jamais en termes de rentabilité. Comment prouver qu’une compagnie vend à perte ? Pourtant, il me parait évident qu’une fois sorti des effets de la pandémie, le transport arien doit se réformer en profondeur. Il faut en terminer une bonne fois pour toutes avec les tarifs prédateurs qui ne correspondent à aucune réalité économique. Ils ont pour effet de mettre dans l’idée des clients de fausses références. De sorte qu’ils se sentent floués lorsqu’ils doivent payer des tarifs normaux. Combien de fois a-t-on entendu des passagers se plaindre que leur vol européen, voire même domestique, leur coutait plus cher qu’un trajet transatlantique ? Je rappelle que la vente à perte est interdite. Mais comment prouver qu’une compagnie vend à perte certains sièges alors que le « yield management » consiste à maximiser la recette d’un vol et que vendre à très bas prix un siège vide, c’est toujours cela de pris, sauf que parfois, la recette ne paie même pas les taxes. Alors je propose une méthode relativement simple pour déterminer si un transporteur pratique de la vente à perte et qu’il est par conséquent passible de plaintes auprès des tribunaux. Elle consiste à vérifier que le prix de vente est supérieur ou même égal au coût du SKO (Siège Kilomètre Offert) de la compagnie. Remettre les fondamentaux à plat Tous les transporteurs publient leur nombre de SKO annuel. Il suffit de diviser l’ensemble des charges par ce nombre et on obtient le coût au SKO. Celui-ci est public. Par exemple le coût du SKO d’Air France est de 9,05 centimes d’euros et celui de Transavia de 6,65 centimes d’euros. En appliquant tout bêtement une petite multiplication, cela donne les tarifs minimum que ces transporteurs devraient appliquer pour ne pas faire de la vente à perte. Un Paris-Nice fait 698 km, par conséquent le prix minimum devrait être de 63,17€ pour Air France et donc de 126,34€ aller-retour. Pour Transavia les prix minimum de vente descendent à 46,42€ aller simple et 92,83€ aller-retour. L’application de la règle sur un Paris-New York dont la distance avion est de 5 840 km donne un prix minimum pour Air France de 528,52€ aller simple et de 1 057,04€ aller-retour. Alors on ne verrait plus Vueling proposer des places pour 13,99€, Iberia des aller-retours Paris-Madrid à 97€ TTC ou Norwegian afficher des vols à 100€ aller-simple pour un trajet transatlantique. Cette formule pourrait aussi bien s’appliquer aux « low costs » car leurs coûts ne sont pas si éloignés de ceux de Transavia. Ils n’ont d’ailleurs rien à voir avec le résultat des compagnies largement enrichi par les recettes annexes fournies par les clients et par des Collectivités Locales et qui, par définition, ne rentrent pas dans les coûts. Ainsi les transporteurs les plus performants seraient avantagés, ce qui n’est que justice et les autres devraient alors justifier de leurs tarifs plus élevés par une meilleure qualité de leur produit. La recherche de la quantité de passagers au prix de coefficients de remplissage supérieurs à 80% en moyenne annuelle est tout simplement déraisonnable. Il faut profiter du choc extrêmement brutal subi par le transport aérien pour remettre les fondamentaux à plat. |
Jean-Louis BarouxJean-Louis Baroux est le fondateur du premier réseau mondial de représentations de compagnies aériennes, présent dans 170 pays. Il est également le créateur et l’animateur de l'APG World Connect. Archives
Juin 2022
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